CEDU sent. 19 febbraio 1998 Guerra e altri c. Italia ricorso n° 14967/89
In breve: Pregiudizio grave all’ambiente (fabbrica chimica) – pregiudizio alla vita privata e familiare – obbligazione positiva dello Stato di fornire ai cittadini le informazioni che permettano loro di valutare i rischi a cui possono essere sottoposti.
Esito: Articolo 10 della Convenzione non applicabile – Articolo 8 della Convenzione, diritto al rispetto della vita privata e familiare: applicabile, violazione; non luogo ad esaminare l’articolo 2 della Convenzione (diritto alla vita): eccezione preliminare respinta (non esaurimento delle vie di ricorso interne); danno materiale: richiesta respinta; danno morale: risarcimento pecuniario; spese e competenze di procedura: richiesta respinta.
A cura dell'Avv. Antonella MASCIA

Sentenza (in lingua francese)

AFFAIRE GUERRA ET AUTRES c. ITALIE

 

(116/1996/735/932)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

ARRÊT

 

STRASBOURG

 

 

19 février 1998

 

 

Cet arrêt peut subir des retouches de forme avant la parution de sa version définitive dans le Recueil des arrêts et décisions 1998, édité par Carl Heymanns Verlag KG (Luxemburger Straße 449, D-50939 Cologne) qui se charge aussi de le diffuser, en collaboration, pour certains pays, avec les agents de vente dont la liste figure au verso.

 


Liste des agents de vente

 

 

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SOMMAIRE[1]

Arrêt rendu par une grande chambre

Italie – absence d'informations de la population sur les risques encourus et les mesures à prendre en cas d'accident dans une usine chimique du voisinage

I.                     ARTICLE 10 DE LA CONVENTION

A.   Exception préliminaire du Gouvernement (non-épuisement des voies de recours internes)

Première branche – recours en référé (article 700 du code de procédure civile) : aurait été un remède exploitable si le grief des intéressées avait porté sur l’absence de mesures visant la réduction ou l’élimination de la pollution  ; en l’occurrence, ce recours aurait vraisemblablement abouti à la suspension de l’activité de l’usine.

Seconde branche – recours au juge pénal : aurait pu tout au plus déboucher sur la condamnation des responsables de l’usine, mais certainement pas sur la communication d'informations aux requérantes.

Conclusion : rejet (dix-neuf voix contre une).

B.    Bien-fondé du grief

Existence d'un droit pour le public de recevoir des informations : maintes fois reconnue par la Cour dans des affaires relatives à des restrictions à la liberté de la presse, comme corollaire de la fonction propre aux journalistes de diffuser des informations ou des idées sur des questions d'intérêt public – circonstances de l'espèce se distinguent nettement de celles de ces affaires car les requérantes se plaignent d’un dysfonctionnement du système instauré par la législation pertinente – préfet prépara le plan d’urgence sur la base du rapport fourni par l’usine, ce plan fut communiqué au service de la protection civile le 3 août 1993, mais à ce jour les requérantes n’ont pas reçu les informations litigieuses.

Liberté de recevoir des informations : interdit essentiellement à un gouvernement d’empêcher quelqu’un de recevoir des informations que d’autres aspirent ou peuvent consentir à lui fournir – ne saurait se comprendre comme imposant à un Etat, dans des circonstances telles que celles de l'espèce, des obligations positives de collecte et de diffusion, motu proprio, des informations.

Conclusion : inapplicabilité (dix-huit voix contre deux).

II.                   Article 8 de la convention

Incidence directe des émissions nocives sur le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale : permet de conclure à l'applicabilité de l'article 8.

Requérantes se plaignent non d’un acte, mais de l’inaction de l’Etat – article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics – ne se contente pas d’astreindre l’Etat à s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale.

En l'occurrence, il suffit de rechercher si les autorités nationales ont pris les mesures nécessaires pour assurer la protection effective du droit des intéressées au respect de leur vie privée et familiale.

Ministères de l'Environnement et de la Santé adoptèrent conjointement des conclusions sur le rapport de sécurité présenté par l'usine – elles donnaient au préfet des indications concernant le plan d'urgence, qu’il avait préparé en 1992, et les mesures d'information litigieuses – toutefois, au 7 décembre 1995, aucun document concernant ces conclusions n’était parvenu à la municipalité compétente.

Des atteintes graves à l'environnement peuvent toucher le bien-être des personnes et les priver de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale – requérantes sont restées, jusqu’à l’arrêt de la production de fertilisants en 1994, dans l’attente d'informations essentielles qui leur auraient permis d'évaluer les risques pouvant résulter pour elles et leurs proches du fait de continuer à résider sur le territoire de Manfredonia, une commune aussi exposée au danger en cas d'accident dans l'enceinte de l'usine.

Etat défendeur a failli à son obligation de garantir le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale.

Conclusion : applicabilité et violation (unanimité).

III.                 Article 2 de la convention

Conclusion : non nécessaire d'examiner l'affaire aussi sous l'angle de l'article 2 (unanimité).

IV.                 article 50 de la convention

A.    Préjudice

Dommage matériel : non démontré.

Tort moral : octroi d'une certaine somme à chaque requérante.

B.    Frais et dépens

Rejet de la demande – compte tenu de sa tardiveté et de l'octroi de l'assistance judiciaire.

Conclusion : Etat défendeur tenu de payer une certaine somme à chaque requérante (unanimité).

 

RÉFÉRENCES À LA JURISPRUDENCE DE LA COUR

9.10.1979, Airey c. Irlande ; 26.3.1987, Leander c. Suède ; 21.2.1990, Powell et Rayner c. Royaume-Uni ; 19.2.1991, Zanghì c. Italie ; 27.8.1991, Demicoli c. Malte ; 27.8.1991, Philis c. Grèce ; 26.11.1991, Observer et Guardian c. Royaume-Uni ; 25.6.1992, Thorgeir Thorgeirson c. Islande ; 9.12.1994, Lόpez Ostra c. Espagne ; 8.6.1995, Yağcı et Sargın c. Turquie

 

 


En l'affaire Guerra et autres c. Italie[2],

La Cour européenne des Droits de l'Homme, constituée, conformément à l'article 53 de son règlement B[3], en une grande chambre composée des juges dont le nom suit :

          MM.  R. Bernhardt, président,

                   Thór Vilhjálmsson,

                   F. Gölcüklü,

                   F. Matscher,

                   B. Walsh,

                   R. Macdonald,

                   C. Russo,

                   A. Spielmann,

          Mme   E. Palm,

          M.     A.N. Loizou,

          Sir     John Freeland,

          MM.  M.A. Lopes Rocha,

                   G. Mifsud Bonnici,

                   J. Makarczyk,

                   B. Repik,

                   P. Jambrek,

                   P. Kūris,

                   E. Levits,

                   J. Casadevall,

                   P. van Dijk,

ainsi que de MM. H. Petzold, greffier, et P.J. Mahoney, greffier adjoint,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil les 28 août 1997 et 27 janvier 1998,

Rend l'arrêt que voici, adopté à cette dernière date :

PROCÉDURE

1.  L'affaire a été déférée à la Cour par la Commission européenne des Droits de l'Homme (« la Commission ») le 16 septembre 1996, dans le délai de trois mois qu'ouvrent les articles 32 § 1 et 47 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »). A son origine se trouve une requête (n° 14967/89) dirigée

 

contre la République italienne et dont quarante ressortissantes de cet Etat avaient saisi la Commission le 18 octobre 1988 en vertu de l'article 25. La liste des requérantes s'établit ainsi : Mmes Anna Maria Guerra, Rosa Anna Lombardi, Grazia Santamaria, Addolorata Caterina Adabbo, Anna Maria Virgata, Antonetta Mancini, Michelina Berardinetti, Maria Di Lella, Maria Rosa Porcu, Anna Maria Lanzetta, Grazia Lagattolla, Apollonia Rinaldi, Renata Maria Pilati, Raffaela Ciuffreda, Raffaella Lauriola, Diana Gismondi, Filomena Totaro, Giulia De Feudis, Sipontina Santoro, Maria Lucia Rita Colavelli Tattilo, Irene Principe, Maria De Filippo, Vittoria De Salvia, Anna Totaro, Maria Telera, Grazia Telera, Nicoletta Lupoli, Lisa Schettino, Maria Rosaria Di Vico, Gioia Quitadamo, Elisa Anna Castriotta, Giuseppina Rinaldi, Giovanna Gelsomino, Antonia Iliana Titta, Concetta Trotta, Rosa Anna Giordano, Anna Maria Trufini, Angela Di Tullo, Anna Maria Giordano et Raffaela Rinaldi.

La demande de la Commission renvoie aux articles 44 et 48 ainsi qu'à la déclaration italienne reconnaissant la juridiction obligatoire de la Cour (article 46). Elle a pour objet d'obtenir une décision sur le point de savoir si les faits de la cause révèlent un manquement de l'Etat défendeur aux exigences de l'article 10 de la Convention.

2.  Le 4 octobre 1997, les requérantes ont désigné leur conseil (article 31 du règlement B) que le président de la chambre a autorisé à employer la langue italienne (article 28 § 3).

3.  La chambre à constituer comprenait de plein droit M. C. Russo, juge élu de nationalité italienne (article 43 de la Convention), et M. R. Bernhardt, vice-président de la Cour (article 21 § 4 b) du règlement B). Le 17 septembre 1996, le président de la Cour, M. R. Ryssdal, avait tiré au sort le nom des sept autres membres, à savoir M. F. Matscher, M. A. Spielmann, Sir John Freeland, M. M.A. Lopes Rocha, M. J. Makarczyk, M. J. Casadevall et M. P. van Dijk, en présence du greffier (articles 43 in fine de la Convention et 21 § 5 du règlement B).

4.  En sa qualité de président de la chambre (article 21 § 6 du règlement B), M. Bernhardt a consulté, par l'intermédiaire du greffier, l'agent du gouvernement italien (« le Gouvernement »), le conseil des requérantes et le délégué de la Commission au sujet de l'organisation de la procédure (articles 39 § 1 et 40). Conformément à l'ordonnance rendue en conséquence, le greffier a reçu les mémoires des requérantes et du Gouvernement les 14 et 16 avril 1997 respectivement.

5.  Le 29 avril 1997, la Commission a produit le dossier de la procédure suivie devant elle ; le greffier l'y avait invitée sur les instructions du président.

6.  Ainsi qu'en avait décidé ce dernier, les débats se sont déroulés en public le 27 mai 1997, au Palais des Droits de l'Homme à Strasbourg. La Cour avait tenu auparavant une réunion préparatoire.

 

 

Ont comparu :

     pour le Gouvernement
MM. G. Raimondi, magistrat détaché
                 au service du contentieux diplomatique
                 du ministère des Affaires étrangères,                               coagent,
         G.
Sabbeone, magistrat détaché
                 au cabinet législatif du ministère
                 de la Justice,                                                                   conseil ;

     pour la Commission
M.    I. Cabral Barreto,                                                            délégué ;

     pour les requérantes
Mlle   N. Santilli, juriste,                                                                conseil.

 

La Cour a entendu en leurs plaidoiries M. Cabral Barreto, Mlle Santilli, M. Sabbeone et M. Raimondi.

7.  Le 3 juin 1997, la chambre a décidé de se dessaisir avec effet immédiat au profit d'une grande chambre (article 53 § 1 du règlement B).

8.  La grande chambre à constituer comprenait de plein droit M. Ryssdal, président de la Cour, et M. Bernhardt, vice-président, les autres membres de la chambre originaire ainsi que les quatre suppléants de celle-ci, MM. P. Kūris, G. Mifsud Bonnici, Thór Vilhjálmsson et B. Repik (article 53 § 2 a) et b) du règlement B). Le 3 juillet 1997, le président a tiré au sort en présence du greffier le nom des sept juges supplémentaires appelés à compléter la grande chambre, à savoir M. F. Gölcüklü, M. B. Walsh, M. R. Macdonald, Mme E. Palm, M. A.N. Loizou, M. P. Jambrek et M. E. Levits (article 53 § 2 c)).

9.  Le 29 juillet 1997, le président a autorisé le délégué de la Commission à présenter des observations sur les demandes de satisfaction équitable des requérantes. Lesdites observations sont parvenues au greffe le 19 septembre 1997.

10.  Après avoir consulté l'agent du Gouvernement, le représentant des requérantes et le délégué de la Commission, la grande chambre avait décidé, le 28 août 1997 qu'il n'y avait pas lieu de tenir une nouvelle audience à la suite du dessaisissement de la chambre (article 40 combiné avec l'article 53 § 6).

11.  M. Ryssdal se trouvant empêché de participer à la délibération du 27 janvier 1998, M. Bernhardt l'a remplacé à la présidence de la grande chambre (article 21 § 6 combiné avec l'article 53 § 6).

EN FAIT

I.     Les circonstances de l'espÈce

A.   L'usine d'Enichem agricoltura

12.  Les requérantes résident toutes dans la commune de Manfredonia (Foggia) sise à un kilomètre environ de l'usine chimique de la société anonyme Enichem agricoltura, implantée, elle, sur le territoire de la commune de Monte Sant'Angelo.

13.  En 1988, l'usine, qui produisait des fertilisants et du caprolactame (composé chimique donnant par polycondensation un polyamide utilisé pour fabriquer des fibres synthétiques tel le nylon), fut classée à haut risque en application des critères retenus par le décret du président de la République du 18 mai 1988 n° 175 (« DPR 175/88 »), qui avait transposé en droit italien la directive 82/501/CEE du Conseil des Communautés européennes (directive « Seveso »), concernant les risques d'accidents majeurs liés à certaines activités industrielles dangereuses pour l'environnement et le bien-être des populations concernées.

14.  Selon les requérantes, non contredites par le Gouvernement, au cours de son cycle de fabrication l'usine aurait libéré de grandes quantités de gaz inflammable – ce qui aurait pu entraîner des réactions chimiques explosives libérant des substances hautement toxiques –, ainsi que de l'anhydride sulfurique, de l'oxyde d'azote, du sodium, de l'ammoniaque, de l'hydrogène métallique, de l'acide benzoïque et surtout de l'anhydride d'arsenic.

15.  Des accidents de fonctionnement s'étaient, en effet, déjà produits par le passé, le plus grave étant celui du 26 septembre 1976 lorsque l'explosion de la tour de lavage des gaz de synthèse d'ammoniaque laissa s'échapper plusieurs tonnes de solution de carbonate et de bicarbonate de potassium, contenant de l'anhydride d'arsenic. A cette occasion, 150 personnes durent être hospitalisées en raison d'une intoxication aiguë par l'arsenic.

16.  Par ailleurs, dans un rapport du 8 décembre 1988, une commission technique nommée par la municipalité de Manfredonia établit notamment, qu'à cause de la position géographique de l'usine, les émissions de substances dans l'atmosphère étaient souvent canalisées vers la ville. Le rapport faisait état d'un refus de l'usine à une inspection de ladite commission et du fait que, d'après les résultats d'une étude menée par l'usine elle-même, les installations de traitement des fumées étaient insuffisantes et l'étude d'impact environnemental était incomplète.

 

 

 

 

17.  En 1989, l'usine limita son activité à la production de fertilisants, ce qui justifia son maintien dans la catégorie des usines dangereuses visées par le DPR 175/88. En 1993, les ministères de l'Environnement et de la Santé adoptèrent conjointement un arrêté prescrivant des mesures à adopter par l'usine afin d'améliorer la sécurité de la production en cours de fertilisants et, en cas de reprise de la production de caprolactame, la sécurité de celle-ci (paragraphe 27 ci-dessous).

18.  En 1994, l'usine arrêta définitivement la production de fertilisant. Seules une centrale thermoélectrique et des installations de traitement des eaux primaires et usées continuent de fonctionner.

B.   Les poursuites pénales

1.  Devant le juge d'instance de Foggia

19.  Le 13 novembre 1985, 420 habitants de Manfredonia (parmi lesquels figureraient les requérantes) saisirent le juge d'instance (pretore) de Foggia en dénonçant la présence dans l'atmosphère de fumées d'échappement provenant de l'usine et dont la composition chimique et le degré de toxicité n'étaient pas connus. Sept administrateurs de la société incriminée firent l'objet d'une procédure pénale pour des infractions liées à des émissions polluantes de l'usine et au non-respect de plusieurs normes concernant la protection de l'environnement.

Dans sa décision du 16 juillet 1991, le juge n'infligea aucune peine aux inculpés – soit pour cause d'amnistie ou prescription, soit pour paiement immédiat d'une amende (oblazione) – sauf à deux administrateurs. Ces derniers furent condamnés à cinq mois d'emprisonnement et deux millions de lires d'amende, ainsi qu'à la réparation des dommages civils, pour avoir fait construire des décharges sans avoir obtenu au préalable l'autorisation nécessaire, en violation des dispositions pertinentes du DPR 915/82 en matière d'élimination des déchets.

2.  Devant la cour d'appel de Bari

20.  Statuant sur l'appel interjeté par les deux administrateurs condamnés ainsi que de l'organisme public pour l'électricité (ENEL) et de la municipalité de Manfredonia, qui s'étaient constitués parties civiles, la cour d'appel de Bari acquitta les appelants le 29 avril 1992, au motif que le délit n'était pas constitué, confirmant pour le surplus la décision attaquée. La juridiction estima que les erreurs dans la gestion des déchets, reprochées aux intéressés devaient en fait être attribuées aux retards et incertitudes dans l'adoption et dans l'interprétation, notamment par la région des Pouilles, des normes d'application du DPR 915/82. L'existence d'un dommage indemnisable était par conséquent à exclure.

C.   L'attitude des autorités compétentes

21.  Un comité paritaire Etat-région des Pouilles fut créé auprès du ministère de l'Environnement pour donner suite à la directive Seveso.

Ce comité ordonna une enquête technique confiée à une commission instituée par un arrêté du ministre de l'Environnement du 19 juin 1989, avec le mandat suivant :

a)  faire le point sur la conformité de l'usine aux règles édictées en matière d'environnement, en ce qui concernait l'écoulement des eaux usées, le traitement des déchets liquides et solides, les émanations de gaz et la pollution sonore, ainsi que sur les aspects relatifs à la sécurité ; vérifier l'état des autorisations accordées à l'usine à cet effet ;

b)  faire le point sur la compatibilité de l'implantation de l'usine avec son environnement en ayant égard en particulier aux problèmes de la protection de la santé de la population, de la faune et de la flore, et aux problèmes de l'aménagement correct du territoire ;

c)  suggérer les actions à entreprendre pour acquérir toutes les données aptes à combler les lacunes qui seraient apparues pour l'étude des points a) et b) et indiquer les mesures à mettre en œuvre pour la protection de l'environnement.

22.  Le 6 juillet 1989, en application de l'article 5 du DPR 175/88, l'usine communiqua le rapport de sécurité.

23.  Le 24 juillet 1989, la commission présenta son rapport qui fut transmis au comité paritaire Etat-région. Celui-ci formula ses conclusions le 6 juillet 1990, fixant au 30 décembre 1990 la date de remise au ministre de l'Environnement du rapport prévu à l'article 18 du DPR 175/88 sur les risques d'accidents majeurs. Il recommandait par ailleurs :

a)  la réalisation d'études sur la compatibilité de l'usine avec l'environnement et sur la sécurité de l'établissement, des analyses complémentaires sur les scénarios catastrophe et sur la préparation et la mise en place de plans d'intervention d'urgence ;

b)  un certain nombre de modifications à apporter en vue de réduire de façon draconienne les émissions de substances dans l'atmosphère et d'améliorer le traitement des eaux usées, des changements techniques radicaux dans les cycles de production de l'urée et de l'azote, la réalisation d'études sur la pollution du sous-sol et sur l'assise hydrogéologique de l'usine. Le délai prévu pour ces réalisations était de trois ans. Le rapport soulignait aussi la nécessité de résoudre le problème de la combustion des liquides et de la réutilisation des sels de soude.

Le comité demanda également la création, avant le 30 décembre 1990, d'un centre public d'hygiène industrielle ayant pour tâche de contrôler périodiquement les conditions d'hygiène et de respect de l'environnement de l'établissement et de servir d'observatoire épidémiologique.


24.  Les problèmes liés au fonctionnement de l'usine firent l'objet, le 20 juin 1989, d'une question parlementaire au ministre de l'Environnement, et le 7 novembre 1989, au sein du Parlement européen, d'une question à la Commission des Communautés européennes. En réponse à cette dernière, le commissaire compétent indiqua : 1) que la société Enichem avait envoyé au  gouvernement italien le rapport demandé sur la sécurité des installations, conformément à l'article 5 du DPR 175/88 ; 2) que sur la base de ce rapport, ledit gouvernement avait procédé à l'instruction de l'affaire comme prévu à l'article 18 du DPR 175/88 afin de contrôler la sécurité des installations et, le cas échéant, d'indiquer les mesures supplémentaires de sécurité qui s’avéreraient nécessaires ; et 3) qu'en ce qui concernait l'application de la directive Seveso, le gouvernement avait pris à l'égard de l'usine les mesures requises.

D.   Les mesures d'information de la population

25.  Les articles 11 et 17 du DPR 175/88 prévoient l'obligation, à la charge du maire et du préfet compétents, d'informer la population concernée sur les risques liés à l'activité industrielle en question, les mesures de sécurité adoptées, les plans d'urgence préparés et la procédure à suivre en cas d'accident.

26.  Le 2 octobre 1992, le comité de coordination des activités de sécurité en matière industrielle formula son avis sur le plan d'urgence qui avait été préparé par le préfet de Foggia, conformément à l'article 17 § 1 du DPR 175/88. Le 3 août 1993, ce plan fut transmis au comité compétent du service pour la protection civile. Dans une lettre du 12 août 1993, le sous-secrétaire dudit service assura le préfet de Foggia que le plan serait soumis à bref délai au comité de coordination pour avis et exprima le souhait qu'il pût être rendu opérationnel le plus tôt possible, compte tenu des questions délicates liées à la planification d'urgence.

27.  Le 14 septembre 1993, conformément à l'article 19 du DPR 175/88, les ministères de l'Environnement et de la Santé adoptèrent conjointement les conclusions sur le rapport de sécurité présenté par l'usine en juillet 1989. Celles-ci prescrivaient une série d'améliorations à apporter aux installations, à la fois en ce qui concernait la production de fertilisants et en cas de reprise de la production de caprolactame (paragraphe 17 ci-dessus). Elles donnaient au préfet des indications concernant le plan d'urgence de son ressort et les mesures d'information de la population prescrits par l'article 17 dudit DPR.

 

 

 

 

 

 

Toutefois, dans un courrier du 7 décembre 1995 à la Commission européenne des Droits de l'Homme, le maire de Monte Sant'Angelo affirma qu'à cette dernière date, l'instruction en vue des conclusions prévues par l'article 19 se poursuivait et qu'aucun document concernant ces conclusions ne lui était parvenu. Il précisait que la municipalité attendait toujours de recevoir des directives du service de la protection civile afin d'arrêter les mesures de sécurité à prendre et les règles à suivre en cas d'accident et à communiquer à la population, et que les mesures visant l'information de la population seraient prises immédiatement après les conclusions de l'instruction, dans l'hypothèse d'un redémarrage de la production de l'usine.

II.    Le droit interne pertinent

28.  En ce qui concerne les obligations d'information en matière de sécurité pour l'environnement et pour les populations intéressées, l'article 5 du DPR 175/88 prévoit que l'entreprise exerçant des activités dangereuses doit notifier aux ministères de l'Environnement et de la Santé un rapport contenant notamment des informations détaillées sur son activité, les plans d'urgence en cas d'accident majeur, les personnes chargées d'exécuter ce plan, ainsi que les mesures adoptées par l'entreprise pour réduire les risques pour l'environnement et pour la santé publique. Par ailleurs, l'article 21 du DPR 175/88 prévoit une peine pouvant aller jusqu'à un an d'emprisonnement pour tout entrepreneur ayant omis de procéder à la communication prévue par l'article 5.

29.  A l'époque des faits, l'article 11 § 3 du DPR 175/88 prévoyait que le maire devait informer le public sur :

a)  le procédé de production ;

b)  les substances présentes et leur quantité ;

c)  les risques possibles pour les employés et ouvriers de l'usine, pour la population et pour l'environnement ;

d)  les conclusions sur le rapport sur la sécurité de l'usine notifié par cette dernière au sens de l'article 5, ainsi que sur les mesures complémentaires prévues par l'article 19 ;

e)  les mesures de sécurité et les règles à suivre en cas d'accident.

D'autre part, le paragraphe 2 du même article précisait qu'afin d'assurer la protection des secrets industriels, toute personne chargée d'examiner les rapports ou les renseignements provenant des entreprises concernées ne devait pas divulguer les informations dont elle avait eu connaissance.

30.  L'article 11 § 1 disposait que les données et les informations relatives aux activités industrielles recueillies en application du DPR 175/88 ne pouvaient être utilisées que pour les buts pour lesquels elles avaient été demandées.

 

 

 

Cette disposition a été en partie modifiée par le décret-loi n° 461 du 8 novembre 1995 et prévoit, en son paragraphe 2, que l'interdiction de divulgation découlant du secret industriel est exclue pour certaines informations, à savoir celles contenues dans une fiche d'information devant être rédigée et envoyée au ministère de l'Environnement et au comité technique régional ou interrégional par l'entreprise concernée. Les obligations d'information à la charge du maire restent en tout cas inchangées, et figurent aujourd'hui au paragraphe 4.

31.  L'article 17 du DPR 175/88 prévoit certaines obligations d'information également à la charge du préfet. En particulier, le paragraphe 1 de cette disposition (aujourd'hui devenu 1 bis) dispose que le préfet doit préparer un plan d'urgence, sur la base des informations fournies par l'usine concernée et le comité de coordination des activités de sécurité en matière industrielle, qui doit être communiqué par la suite au ministère de l'Intérieur et au service pour la sécurité civile. Le paragraphe 2 exige ensuite du préfet qu'après avoir préparé le plan d'urgence, il informe de façon adéquate la population intéressée sur les risques découlant de l'activité, sur les mesures de sécurité adoptées afin de prévenir un accident majeur, sur les mesures d'urgence prévues à l'extérieur de l'usine en cas d'accident majeur et sur les normes à suivre en cas d'accident. Les modifications apportées à cet article par le décret-loi mentionné ci-dessus consistent notamment en l'adjonction d'un nouveau paragraphe 1, prévoyant que le service pour la protection civile doit établir les critères de référence pour la planification d'urgence et l'adoption des mesures d'information du public par le préfet, ainsi qu'en l'abrogation du paragraphe 3, qui disposait que les mesures d'information prévues par le paragraphe 2 devaient être communiquées aux ministères de l'Environnement et de la Santé, ainsi qu'aux régions intéressées.

32.  L'article 14 § 3 de la loi n° 349 du 8 juillet 1986, qui a institué en Italie le ministère de l'Environnement et introduisait en même temps les premières règles en matière de préjudice pour l'environnement, prévoit que quiconque a le droit d'accéder aux informations sur l'état de l'environnement disponibles, conformément aux lois en vigueur, auprès de l'administration, et peut en obtenir copie contre remboursement des frais.

33.  Dans un arrêt du 21 novembre 1991 (n° 476), le Conseil de justice administrative pour la Sicile (Consiglio di Giustizia amministrativa per la Regione siciliana), qui pour cette région tient lieu de Conseil d'Etat, a établi que la notion d’informations sur l'état de l'environnement inclut tous les renseignements concernant l'habitat dans lequel vit l'homme et qui ont trait à des éléments revêtant un certain intérêt pour la collectivité. Se fondant sur pareils critères, le Conseil de justice administrative a estimé injustifié le refus d'une municipalité de permettre à un particulier d'obtenir une copie des résultats des analyses sur le caractère potable ou non des eaux du territoire d'une commune.

III.   Les travaux du Conseil de l'Europe

34.  Parmi les différents documents adoptés par le Conseil de l'Europe dans le domaine en cause dans la présente affaire, il y a lieu de citer en particulier la résolution 1087 (1996) de l'Assemblée parlementaire, relative aux conséquences de l'accident de Tchernobyl et adoptée le 26 avril 1996 (seizième séance). Se référant non seulement au domaine des risques liés à la production et à l'utilisation de l'énergie nucléaire dans le secteur civil mais aussi à d'autres domaines, cette résolution énonce que « l'accès du public à une information claire et exhaustive (...) doit être considéré comme l'un des droits fondamentaux de la personne ».

PROCÉDURE DEVANT LA COMMISSION

35.  Les requérantes ont saisi la Commission le 18 octobre 1988. Invoquant l'article 2 de la Convention, elles alléguaient que l'absence de mesures concrètes, notamment pour diminuer la pollution et les risques d'accidents majeurs liés à l'activité de l'usine, portait atteinte au respect de leur vie et de leur intégrité physique. Elles se plaignaient aussi de ce que la non-adoption par les autorités compétentes des mesures d'information sur les risques encourus par la population et les mesures à prendre en cas d'accidents majeurs, prévues notamment par les articles 11 § 3 et 17 § 2 du décret du président de la République n° 175/88, méconnaissait leur droit à la liberté d'information garanti par l'article 10.

36.  La Commission a retenu la requête (n° 14967/89) le 6 juillet 1995 quant au grief tiré de l'article 10 et l'a rejetée pour le surplus. Dans son rapport du 29 juin 1996 (article 31), elle conclut, par vingt et une voix contre huit, qu'il y a eu violation de cette disposition. Le texte intégral de son avis et des trois opinions dissidentes dont il s'accompagne figure en annexe au présent arrêt[4].

CONCLUSIONS PRÉSENTÉeS À LA COUR

37.  Le Gouvernement conclut son mémoire en invitant la Cour, à titre principal, à rejeter la requête pour non-épuisement des voies de recours internes et, subsidiairement, à juger qu'il n'y a pas eu violation de l'article 10 de la Convention.

38.  A l’audience, le conseil des requérantes a demandé à la Cour de juger qu’il y a eu violation des articles 10, 8 et 2 de la Convention et d’allouer à ses clientes une satisfaction équitable.

en droit

I.     sur l'objet du litige

39.  Devant la Commission, les requérantes ont présenté deux griefs. Elles se plaignaient en premier lieu de la non-adoption, par les autorités publiques, d'actions aptes à diminuer la pollution de l'usine chimique Enichem agricoltura de Manfredonia (« l’usine ») et à éviter les risques d'accidents majeurs ; elles affirmaient que cette situation portait atteinte à leur droit au respect de leur vie et de leur intégrité physique garanti par l'article 2 de la Convention. Elles dénonçaient ensuite la non-adoption, par l'Etat italien, de mesures d'information sur les risques encourus et les comportements à adopter en cas d'accident majeur prévues par les articles 11 § 3 et 17 § 2 du décret du président de la République n° 175/88 (« le DPR 175/88 ») ; elles en inféraient une violation de leur droit à la liberté d'information mentionné à l'article 10 de la Convention.

40.  Le 6 juillet 1995, la Commission, à la majorité, a accueilli l'exception préliminaire de non-épuisement soulevée par le Gouvernement à l'égard du premier point et a retenu le restant de la requête « tous moyens de fond réservés ».

Dans son rapport du 25 juin 1996, elle a examiné l'affaire sous l'angle de l'article 10 de la Convention et considéré cette disposition applicable et violée au motif qu'au moins entre l'adoption du DPR 175/88, en mai 1988, et la cessation de la production de fertilisants, en 1994, les autorités compétentes se devaient de prendre les mesures nécessaires afin que les requérantes, qui résidaient toutes dans une zone à haut risque, pussent « recevoir une information adéquate sur des questions intéressant la protection de leur environnement ». Huit membres de la Commission ont exprimé leur désaccord dans trois opinions dissidentes, dont deux mettent en évidence la possibilité d'une approche différente du litige, fondée sur l'applicabilité de l'article 8 de la Convention.

41.  Les intéressées ont, dans leur mémoire à la Cour puis à l'audience, invoqué aussi les articles 8 et 2 de la Convention en arguant que le défaut des informations en question a enfreint leur droit au respect de leur vie privée et familiale et leur droit à la vie.

 

 

 

 

42.  Devant la Cour, le délégué de la Commission s'est borné à confirmer la conclusion du rapport (à savoir la violation de l'article 10), tandis que le Gouvernement a déclaré que les griefs relatifs aux articles 8 et 2 dépassaient le cadre tracé par la décision sur la recevabilité.

Il y a donc lieu de déterminer avant tout les limites de la compétence ratione materiae.

43.  La Cour souligne d'abord que sa compétence « s'étend à toutes les affaires concernant l'interprétation et l'application de la (…) Convention qui lui sont soumises dans les conditions prévues par l'article 48 » (article 45 de la Convention tel que modifié par le Protocole n° 9 pour les Etats qui ont ratifié celui-ci, comme l’Italie) et qu'« En cas de contestation sur le point de savoir si la Cour est compétente, la Cour décide » (article 49).

44.  Elle rappelle ensuite que, maîtresse de la qualification juridique des faits de la cause, elle ne se considère pas comme liée par celle que leur attribuent les requérants, les gouvernements ou la Commission. En vertu du principe jura novit curia, elle a par exemple étudié d'office plus d'un grief sous l'angle d'un article ou paragraphe que n'avaient pas invoqué les comparants, et même d'une clause au regard de laquelle la Commission l'avait déclaré irrecevable tout en le retenant sur le terrain d'une autre. Un grief se caractérise par les faits qu'il dénonce et non par les simples moyens ou arguments de droit invoqués (voir l'arrêt Powell et Rayner c. Royaume-Uni du 21 février 1990, série A n° 172, p. 13, § 29).

La plénitude de sa juridiction ne joue que dans les limites de l'« affaire », lesquelles sont fixées par la décision de recevabilité de la requête. A l'intérieur du cadre ainsi tracé, la Cour peut traiter toute question de fait ou de droit qui surgit pendant l'instance engagée devant elle (voir, parmi beaucoup d'autres, l'arrêt Philis c. Grèce du 27 août 1991, série A n° 209, p. 19, § 56).

45.  En l'espèce, les moyens tirés des articles 8 et 2 ne figuraient pas expressément dans la requête et les mémoires initiaux des intéressées devant la Commission. Ils présentent cependant une connexité manifeste avec celui qui s'y trouvait exposé, l'information des requérantes, résidant toutes à un kilomètre à peine de l'usine, pouvant avoir des répercussions sur leur vie privée et familiale et leur intégrité physique.

46.  Eu égard à ce qui précède ainsi qu'au texte de la décision de la Commission sur la recevabilité, la Cour estime pouvoir se placer sur le terrain des articles 8 et 2 de la Convention en sus de l'article 10.

 

 

 

 

 

 

 

ii.    SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L'article 10 de la convention

47.  Les requérantes se prétendent victimes d’une violation de l’article 10 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit à la liberté d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques et sans considération de frontière. Le présent article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un régime d'autorisations.

2.   L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et des responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à l'intégrité territoriale ou à la sûreté publique, à la défense de l'ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire. »

Le manquement découlerait de la non-adoption par les autorités compétentes de mesures d’information de la population sur les risques encourus et sur les mesures à prendre en cas d’accident lié à l’activité de l’usine.

A.   Sur l'exception préliminaire du Gouvernement

48.  Le Gouvernement soulève, comme déjà devant la Commission, une exception de non-épuisement des voies de recours internes articulée en deux branches.

La première repose sur le recours en référé prévu à l'article 700 du code de procédure civile. Si les requérantes craignaient un danger immédiat lié à l’activité de l’usine, elles auraient pu et dû saisir le juge afin d’obtenir une décision qui leur aurait immédiatement permis de protéger leurs droits. Le Gouvernement reconnaît ne pas fournir d'exemples d'application de cette disposition à des cas analogues, mais il affirme qu’abstraction faite de la possibilité d'utiliser cette disposition à l’encontre de la puissance publique, l’article 700 peut à coup sûr être utilisé envers une usine lorsque, comme ce serait le cas en l’espèce, celle-ci n’a pas préparé le rapport de sécurité exigé par l’article 5 du DPR 175/88 (paragraphe 28 ci-dessus).

La seconde branche porte sur la circonstance que les requérantes n’ont pas saisi le juge pénal pour se plaindre du défaut des informations pertinentes, notamment de la part de l'usine, l'article 21 du DPR susmentionné sanctionnant au pénal ce type d’omissions.

49.  Selon la Cour, aucun des deux recours n'aurait permis d'atteindre le but visé par les intéressées.

 

 

 

Même si le Gouvernement n'a pu prouver l'efficacité du recours en référé, le contentieux lié à l'environnement dans le domaine en question n'ayant pas encore fourni de jurisprudence, l'article 700 du code de procédure civile aurait été un remède exploitable si le grief des intéressées avait porté sur l’absence de mesures visant la réduction ou l’élimination de la pollution ; telle a été d’ailleurs la conclusion de la Commission au stade de la recevabilité de la requête (paragraphe 40 ci-dessus). En l’occurrence, il s'agissait en réalité de l'absence d’informations sur les risques encourus et les mesures à prendre en cas d’accident, alors que le recours en référé aurait vraisemblablement abouti à la suspension de l’activité de l’usine.

Quant au volet pénal, le rapport de sécurité a été transmis par l’usine le 6 juillet 1989 (paragraphe 22 ci-dessus) et ce recours aurait pu tout au plus déboucher sur la condamnation des responsables de l’usine, mais certainement pas sur la communication d'informations aux requérantes.

Il y a donc lieu d’écarter l’exception.

B.    Sur le bien-fondé du grief

50.  Reste à savoir si l’article 10 de la Convention est applicable et a été enfreint.

51.  Selon le Gouvernement, cette disposition se limite à garantir la liberté de recevoir des informations sans entraves de la part d’un Etat et n’impose aucune obligation positive. En témoignerait le fait que la résolution 1087 (1996) de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et la directive 90/313/CEE du Conseil des Communautés européennes, relatives aux risques pouvant découler de certaines activités industrielles dangereuses, ne parlent pas d’un droit mais d’un simple accès à l’information. Si une obligation positive d’informer existait, elle serait « extrêmement difficile à mettre en œuvre » car il faudrait déterminer les modalités et le moment de la divulgation des informations ainsi que les autorités responsables de celle-ci et ses destinataires.

52.  Avec les requérantes, la Commission estime que l’information du public représente désormais l'un des instruments essentiels de protection du bien-être et de la santé de la population dans les situations de danger pour l'environnement. Par conséquent, les mots « ce droit comprend (...) la liberté de recevoir (...) des informations », contenus au paragraphe 1 de l'article 10, devraient s'interpréter comme attribuant un véritable droit à recevoir des informations, notamment de la part des administrations compétentes, dans le chef des personnes appartenant à des populations ayant été ou pouvant être affectées par une activité industrielle, ou d'une autre nature, dangereuse pour l'environnement.

 

 

 

L'article 10 imposerait aux Etats non seulement de rendre accessibles au public les informations en matière d'environnement, exigence à laquelle le droit italien semble pouvoir déjà répondre, notamment en vertu de l'article 14 § 3 de la loi n° 349, mais aussi des obligations positives de collecte, d'élaboration et de diffusion de ces informations qui, par leur nature, ne pourraient être autrement portées à la connaissance du public. La protection assurée par l'article 10 jouerait donc un rôle préventif à l’égard des violations potentielles de la Convention en cas d'atteintes graves à l'environnement, cette disposition entrant en jeu avant même qu'une atteinte directe à d'autres droits fondamentaux – tels le droit à la vie ou celui au respect de la vie privée et familiale – ne se produise.

53.  La Cour ne souscrit pas à cette thèse. L'existence d'un droit pour le public de recevoir des informations a été maintes fois reconnue par elle dans des affaires relatives à des restrictions à la liberté de la presse, comme corollaire de la fonction propre aux journalistes de diffuser des informations ou des idées sur des questions d'intérêt public (voir, par exemple, les arrêts Observer et Guardian c. Royaume-Uni du 26 novembre 1991, série A n° 216, p. 30, § 59 b), et Thorgeir Thorgeirson c. Islande du 25 juin 1992, série A n° 239, p. 27, § 63). Les circonstances de l'espèce se distinguent toutefois nettement de celles des affaires susmentionnées car les requérantes se plaignent d’un dysfonctionnement du système instauré par le DPR 175/88, qui avait transposé en droit italien la directive 82/501/CEE du Conseil des Communautés européennes (directive « Seveso »), concernant les risques d'accidents majeurs liés à certaines activités industrielles dangereuses pour l'environnement et le bien-être des populations concernées. En effet, s’il est vrai que le préfet de Foggia prépara le plan d’urgence sur la base du rapport fourni par l’usine et que ce plan fut communiqué au service de la protection civile le 3 août 1993, à ce jour les requérantes n’ont pas reçu les informations litigieuses (paragraphes 26 et 27 ci-dessus).

La Cour rappelle que la liberté de recevoir des informations, mentionnée au paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention, « interdit essentiellement à un gouvernement d’empêcher quelqu’un de recevoir des informations que d’autres aspirent ou peuvent consentir à lui fournir » (arrêt Leander c. Suède du 26 mars 1987, série A n° 116, p. 29, § 74). Ladite liberté ne saurait se comprendre comme imposant à un Etat, dans des circonstances telles que celles de l'espèce, des obligations positives de collecte et de diffusion, motu proprio, des informations.

54.  En conclusion, l’article 10 ne s’applique pas en l’espèce.

55.  Au vu du paragraphe 45 ci-dessus, il échet d'examiner l'affaire sous l'angle de l'article 8 de la Convention.

III.   SUR LA VIOLATION allÉguÉe de l’article 8 de la Convention

56.  Les requérantes se prétendent devant la Cour, sur la base des mêmes faits, victimes d'une violation de l'article 8 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

2.   Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. »

57.  La Cour a pour tâche de rechercher si l’article 8 de la Convention s'applique et a été enfreint.

Elle note d'abord que les intéressées résident toutes à Manfredonia, à un kilomètre environ de l'usine en question qui, à cause de sa production de fertilisants et de caprolactame, a été classée à haut risque en 1988, en application des critères retenus par le DPR 175/88.

Au cours de son cycle de fabrication l'usine a libéré de grandes quantités de gaz inflammable ainsi que d’autres substances nocives dont de l'anhydride d'arsenic. D’ailleurs, en 1976, à la suite de l'explosion de la tour de lavage des gaz de synthèse d'ammoniaque, plusieurs tonnes de solution de carbonate et de bicarbonate de potassium, contenant de l'anhydride d'arsenic, s’étaient échappées rendant nécessaire l’hospitalisation de 150 personnes en raison d'une intoxication aiguë par l'arsenic.

En outre, dans son rapport du 8 décembre 1988, la commission technique nommée par la municipalité de Manfredonia affirmait notamment que, à cause de la position géographique de l'usine, les émissions de substances dans l'atmosphère étaient souvent canalisées vers la ville (paragraphes 14–16 ci-dessus).

L'incidence directe des émissions nocives sur le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale permet de conclure à l'applicabilité de l'article 8.

58.  La Cour estime ensuite que les requérantes ne sauraient passer pour avoir subi de la part de l’Italie une « ingérence » dans leur vie privée ou familiale : elles se plaignent non d’un acte, mais de l’inaction de l’Etat. Toutefois, si l’article 8 a essentiellement pour objet de prémunir l’individu contre des ingérences arbitraires des pouvoirs publics, il ne se contente pas d’astreindre l’Etat à s’abstenir de pareilles ingérences : à cet engagement plutôt négatif peuvent s’ajouter des obligations positives inhérentes à un respect effectif de la vie privée ou familiale (arrêt Airey c. Irlande du 9 octobre 1979, série A n° 32, p. 17, § 32).

 

 

En l'occurrence, il suffit de rechercher si les autorités nationales ont pris les mesures nécessaires pour assurer la protection effective du droit des intéressées au respect de leur vie privée et familiale garanti par l'article 8 (arrêt Lόpez Ostra c. Espagne du 9 décembre 1994, série A n° 303-C, p. 55, § 55).

59.  Le 14 septembre 1993, conformément à l'article 19 du DPR 175/88, les ministères de l'Environnement et de la Santé adoptèrent conjointement des conclusions sur le rapport de sécurité présenté par l'usine en juillet 1989. Celles-ci prescrivaient des améliorations à apporter aux installations, à la fois pour la production en cours de fertilisants et en cas de reprise de la production de caprolactame. Elles donnaient au préfet des indications concernant le plan d'urgence – qu’il avait préparé en 1992 – et les mesures d'information de la population prescrites par l'article 17 dudit DPR.

Toutefois, dans un courrier du 7 décembre 1995 à la Commission européenne des Droits de l'Homme, le maire de Monte Sant'Angelo affirma qu'à cette dernière date, l'instruction en vue des conclusions prévues par l'article 19 se poursuivait, et qu'aucun document concernant ces conclusions ne lui était parvenu. Il précisait que la municipalité attendait toujours de recevoir des directives du service de la protection civile afin d'arrêter les mesures de sécurité à prendre et les règles à suivre en cas d'accident et à communiquer à la population, et que les mesures visant l'information de la population seraient prises immédiatement après les conclusions de l'instruction, dans l'hypothèse d'un redémarrage de la production de l'usine (paragraphe 27 ci-dessus).

60.  La Cour rappelle que des atteintes graves à l'environnement peuvent toucher le bien-être des personnes et les priver de la jouissance de leur domicile de manière à nuire à leur vie privée et familiale (voir, mutatis mutandis, l'arrêt López Ostra précité, p. 54, § 51). En l'espèce, les requérantes sont restées, jusqu’à l’arrêt de la production de fertilisants en 1994, dans l’attente d'informations essentielles qui leur auraient permis d'évaluer les risques pouvant résulter pour elles et leurs proches du fait de continuer à résider sur le territoire de Manfredonia, une commune aussi exposée au danger en cas d'accident dans l'enceinte de l'usine.

La Cour constate donc que l’Etat défendeur a failli à son obligation de garantir le droit des requérantes au respect de leur vie privée et familiale, au mépris de l’article 8 de la Convention.

Par conséquent, il y a eu violation de cette disposition.

IV.  Sur la violation allÉguÉe de l’article 2 de la convention

61.  Evoquant le décès d'ouvriers de l'usine, dû au cancer, les requérantes affirment que le défaut des informations litigieuses a méconnu leur droit à la vie garanti par l’article 2 de la Convention, ainsi libellé :

« 1.  Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf en exécution d'une sentence capitale prononcée par un tribunal au cas où le délit est puni de cette peine par la loi.

2.   La mort n'est pas considérée comme infligée en violation de cet article dans les cas où elle résulterait d'un recours à la force rendu absolument nécessaire :

a)  pour assurer la défense de toute personne contre la violence illégale ;

b)  pour effectuer une arrestation régulière ou pour empêcher l'évasion d'une personne régulièrement détenue ;

c)  pour réprimer, conformément à la loi, une émeute ou une insurrection. »

 

62.  Eu égard à la conclusion relative à la violation de l'article 8, la Cour n'estime pas nécessaire d'examiner l'affaire aussi sous l'angle de l'article 2.

V.    SUR L'APPLICATION DE L'ARTICLE 50 DE LA CONVENTION

63.  Aux termes de l'article 50 de la Convention,

« Si la décision de la Cour déclare qu'une décision prise ou une mesure ordonnée par une autorité judiciaire ou toute autre autorité d'une Partie Contractante se trouve entièrement ou partiellement en opposition avec des obligations découlant de la (...) Convention, et si le droit interne de ladite Partie ne permet qu'imparfaitement d'effacer les conséquences de cette décision ou de cette mesure, la décision de la Cour accorde, s'il y a lieu, à la partie lésée une satisfaction équitable. »

A.   Préjudice

64.  Les intéressées sollicitent la réparation d’un dommage « biologique » ; elles réclament 20 000 000 000 lires italiennes (ITL).

65.  D'après le Gouvernement, les requérantes n'ont pas démontré avoir subi un dommage et ne l'ont même pas évoqué dans le détail. Pour le cas où la Cour retiendrait l'existence d'un préjudice moral, le constat de violation fournirait, le cas échéant, une satisfaction équitable suffisante.

66.  Le délégué de la Commission invite la Cour à accorder aux intéressées une compensation adéquate et proportionnée au préjudice considérable dont elles ont pâti. Il suggère la somme de 100 000 000 ITL pour chaque requérante.

 

 

 

 

 

 

 

 

67.  La Cour considère que les intéressées n’ont pas démontré l’existence d’un dommage matériel résultant du manque d’information dont elles se plaignent. Pour le reste, elle estime que les requérantes ont souffert un tort moral certain et décide de leur allouer la somme de 10 000 000 ITL à chacune.

B.    Frais et dépens

68.  Les intéressées ont obtenu l'assistance judiciaire devant la Cour pour un montant de 16 304 francs français, mais à l'issue de l'audience, leur conseil a déposé au greffe une demande tendant à l'octroi d'une somme plus importante au titre de ses honoraires.

69.  Ni le Gouvernement ni le délégué de la Commission ne se prononcent à ce sujet.

70.  Compte tenu du montant déjà accordé au titre de l’assistance judiciaire et du dépôt tardif de la demande en question (articles 39 § 1 et 52 § 1 du règlement B de la Cour), la Cour décide d'écarter celle-ci.

C.   Autres prétentions

71.  Les intéressées prient enfin la Cour d’obliger l'Etat défendeur à procéder à l'assainissement de toute la zone industrielle en question et à réaliser une étude épidémiologique sur le territoire et les populations concernées ainsi qu’une enquête destinée à mettre en évidence les éventuelles conséquences graves pour les habitants les plus exposés aux substances présumées cancérigènes.

72.  Le Gouvernement trouve ces prétentions inadmissibles.

73.  Selon le délégué de la Commission, la réalisation d'une enquête approfondie et efficace par les autorités nationales ainsi que la publication et la communication aux requérantes d'un rapport complet et précis sur tous les aspects pertinents de l'activité de l'usine pendant la période litigieuse, y compris les dommages effectivement causés à l'environnement et à la santé des personnes, seraient de nature à satisfaire, en plus du versement d'une satisfaction équitable, à l'obligation prévue à l'article 53 de la Convention.

74.  La Cour relève que celle-ci ne l'habilite pas à accueillir pareille requête. Elle rappelle qu'il appartient à l'Etat de choisir les moyens à utiliser dans son ordre juridique pour se conformer aux dispositions de la Convention ou redresser une situation ayant entraîné une violation (voir, mutatis mutandis, les arrêts Zanghì c. Italie du 19 février 1991, série A n° 194-C, p. 48, § 26, Demicoli c. Malte du 27 août 1991, série A n° 210, p. 19, § 45, et Yağcı et Sargın c. Turquie du 8 juin 1995, série A n° 319-A, p. 24, § 81).

D.   Intérêts moratoires

75.  Selon les informations dont dispose la Cour, le taux légal applicable en Italie à la date d'adoption du présent arrêt est de 5 % l'an.

PaR CES MOTIFS, LA COUR

1.      Rejette, par dix-neuf voix contre une, l'exception préliminaire du Gouvernement ;

 

2.      Dit, par dix-huit voix contre deux, que l'article 10 de la Convention ne s’applique pas en l'espèce ;

 

3.      Dit, à l'unanimité, que l'article 8 de la Convention s'applique et a été violé ;

 

4.      Dit, à l'unanimité, qu'il n'y a pas lieu d'examiner l'affaire aussi sur le terrain de l'article 2 de la Convention ;

 

5.      Dit, à l'unanimité,

a) que l’Etat défendeur doit verser, dans les trois mois, 10 000 000 (dix millions) lires italiennes à chaque requérante pour le dommage moral subi ;

b) que ce montant est à majorer d'un intérêt simple de 5 % l'an à compter de l'expiration dudit délai et jusqu'au versement ;

 

6.   Rejette, à l'unanimité, la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français et en anglais, puis prononcé en audience publique au Palais des Droits de l'Homme, à Strasbourg, le 19 février 1998.

 

 

 

 

                                                                         Signé :   Rudolf Bernhardt

                                                                                               Président

Signé :  Herbert Petzold

                    Greffier

 


       Au présent arrêt se trouve joint, conformément aux articles 51 § 2 de la Convention et 55 § 2 du règlement B, l'exposé des opinions séparées suivantes :

– opinion concordante de M. Walsh ;

– opinion concordante de Mme Palm, à laquelle se rallient MM. Bernhardt, Russo, Macdonald, Makarczyk et van Dijk ;

– opinion concordante de M. Jambrek ;

– opinion partiellement concordante et partiellement dissidente de M. Thór Vilhjálmsson ;

– opinion partiellement dissidente et partiellement concordante de M. Mifsud Bonnici.

 

 

 

Paraphé : R. B.

Paraphé : H. P.

 


OPINION CONCORDANTE DE M. LE JUGE WALSH

(Traduction)

 

Il faut se souvenir que, souvent, une méconnaissance de la Convention peut mettre en jeu d’autres articles que celui dont le requérant invoque la violation, mais je suis tout à fait d’accord qu’au vu des faits de la cause il est plus judicieux d’invoquer l’article 8 que l’article 10. La Convention et ses dispositions doivent s’interpréter de manière harmonieuse. Or, dans son arrêt, la Cour a brièvement évoqué l’article 2, mais ne s’est pas prononcée à ce sujet, alors qu’à mon sens il y a eu également infraction à l’article 2.

 

Selon moi, l’article 2 garantit aussi la protection de l’intégrité physique des requérants. De même, les dispositions de l’article 3 indiquent clairement que la Convention s’étend à cette protection-là. J’estime qu’il y a eu en l’espèce violation de l’article 2 et que, vu les circonstances, il ne s’impose pas d’aller au-delà de cette disposition pour constater une violation.


OPINION CONCORDANTE DE Mme LE JUGE PALM, À LAQUELLE SE RALLIENT MM. LES JUGES BERNHARDT, RUSSO, MACDONALD, MAKARCZYK ET VAN DIJK

(Traduction)

 

Avec la majorité, j’ai conclu que l’article 10 n’est pas applicable en l’espèce. Ce faisant, j’ai fortement insisté sur la situation concrète qui était en cause, sans exclure pour autant que, dans des circonstances différentes, l’Etat pourrait avoir l’obligation positive de fournir au public les informations en sa possession et de diffuser celles qui, par nature, ne pourraient pas autrement venir à la connaissance du grand public. Ce point de vue n’est pas incompatible avec la teneur du paragraphe 53 de l’arrêt.


OPINION concordante DE M. LE JUGE JAMBREK

(Traduction)

 

Dans leur mémoire, les requérantes se sont aussi plaintes expressément d'une violation de l'article 2 de la Convention. La Cour a estimé qu'il n'y avait pas lieu d'examiner l'affaire sous l'angle de cet article puisqu'elle avait conclu à la violation de l'article 8. Je souhaite néanmoins formuler quelques remarques quant à l'éventuelle applicabilité de l'article 2 en l'espèce.

Cet article dispose : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement, sauf (…) ». A mon avis, la protection de la santé et de l'intégrité physique est liée tout aussi étroitement au « droit à la vie » qu'au « respect de la vie privée et familiale ». On pourrait faire un parallèle avec la jurisprudence de la Cour relative à l'article 3 en ce qui concerne l'existence de « conséquences prévisibles » : lorsque, mutatis mutandis, il existe des motifs sérieux de croire que la personne concernée court un risque réel de se trouver dans des circonstances mettant en danger sa santé et son intégrité physique et, partant, son droit à la vie, qui est protégé par la loi. Lorsqu'un gouvernement s'abstient de communiquer des informations au sujet de situations dont on peut prévoir, en s'appuyant sur des motifs sérieux, qu'elles présentent un danger réel pour la santé et l'intégrité physiques des personnes, alors une telle situation pourrait aussi relever de la protection de l'article 2, selon lequel « La mort ne peut être infligée à quiconque intentionnellement ».

Il se pourrait donc que le moment soit venu pour la jurisprudence de la Cour consacrée à l'article 2 (droit à la vie) d'évoluer, de développer les droits qui en découlent par implication, de définir les situations entraînant un risque réel et grave pour la vie ou les différents aspects du droit à la vie. L'article 2 semble pertinent et applicable en l'espèce, dans la mesure où 150 personnes ont été conduites à l'hôpital pour empoisonnement grave à l'arsenic. Etant donné qu'elles entraînaient le rejet dans l'atmosphère de substances nocives, les activités de l'usine constituaient donc des « risques d'accidents majeurs dangereux pour l'environnement ».

En ce qui concerne l'article 10, j'estime qu'il pourrait être considéré comme applicable en l'espèce sous réserve d'une condition précise. Cet article prévoit que « Toute personne a droit à (…) recevoir (…) des informations ou des idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités publiques (…). L'exercice de [ce droit] peut être soumis à certaines (…) restrictions (…) ». A mon avis, le libellé de l'article 10, et le sens s'attachant couramment aux mots utilisés, ne permettent pas de déduire qu'un Etat se trouve dans l'obligation positive de fournir des informations, sauf lorsqu'une personne demande/exige d'elle-même des informations dont le gouvernement dispose à l'époque considérée.

 


C'est pourquoi j'estime qu'il faut considérer qu'une telle obligation positive dépend de la condition suivante : les victimes potentielles du risque industriel doivent avoir demandé que certaines informations, preuves, essais, etc., soient rendus publics et leur soient communiqués par un service gouvernemental donné. Si le gouvernement ne satisfait pas à une telle demande et n'explique pas son absence de réponse de façon valable, alors celle-ci doit être considérée comme une ingérence de sa part, interdite par l'article 10 de la Convention.


OPINION PARTIELLEMENT CONCORDANTE
ET PARTIELLEMENT DISSIDENTE
DE M. LE JUGE THÓR VILHJÁLMSSON

(Traduction)

 

En cette affaire, je souscris en principe à la conclusion et aux arguments exprimés par la majorité de la Commission. La Cour, pour sa part, est d'un autre avis. Alors même que j'aurais préféré que l'affaire soit traitée sous l'angle de l'article 10 de la Convention, il était aussi possible d'examiner les questions soulevées en l'espèce sur le terrain de l'article 8, comme la Cour l'a fait. C'est pourquoi j'ai voté avec la majorité en ce qui concerne cet article, ainsi que les articles 2 et 50 de la Convention.

 


opinion partiellement dissidente
et partiellement CONCORDANTE
de M. le Juge Mifsud Bonnici

(Traduction)

 

1.  Au paragraphe 49 de l'arrêt, la Cour rejette l'exception préliminaire du Gouvernement selon laquelle les requérantes n'auraient pas épuisé les voies de recours internes dont elles disposaient, comme l'article 26 de la Convention le leur imposait.

2.  Le second alinéa dudit paragraphe comporte le passage suivant :

« En l’occurrence, il s'agissait en réalité de l'absence d’informations sur les risques encourus et les mesures à prendre en cas d’accident, alors que le recours en référé aurait vraisemblablement abouti à la suspension de l’activité de l’usine » (italique ajouté).

3.  Etant donné que l'utilisation de ce recours interne aurait probablement entraîné la suspension de l'activité de l'usine, je ne vois pas quel recours aurait pu être plus efficace pour redresser les violations dénoncées par les requérantes, dans la mesure où l'absence d'informations de la part des autorités aurait conduit à la suspension des activités de l'usine. A l'occasion du procès, toutes les informations nécessaires auraient dû être communiquées pendant l'audience, ce qui aurait naturellement permis de redresser les violations de l'article 8.

4.  Pour ce qui est de l'action pénale, un succès dans ce domaine aurait rendu possible l'ouverture d'une action en réparation, comme l'ordre juridique italien permet de le faire à toute personne victime d'une infraction (delitto), quelle qu'en soit la forme.

5.  Il est donc clair que, non seulement l'ordre juridique italien mettait un certain nombre d'actions en justice à la disposition des requérantes, mais aussi que celles-ci ne s'en sont malheureusement pas prévalues. Partant, j'estime qu'il aurait fallu accueillir l'exception préliminaire du Gouvernement.

6.  La grande majorité de mes collègues en ayant jugé autrement, je n'avais pas d'autre solution que de me rallier à leur avis en ce qui concerne les autres points du dispositif.



[1].  Rédigé par le greffe, il ne lie pas la Cour.

Notes du greffier

[2].  L'affaire porte le n° 116/1996/735/932. Les deux premiers chiffres en indiquent le rang dans l'année d'introduction, les deux derniers la place sur la liste des saisines de la Cour depuis l'origine et sur celle des requêtes initiales (à la Commission) correspondantes.

[3].  Le règlement B, entré en vigueur le 2 octobre 1994, s'applique à toutes les affaires concernant les Etats liés par le Protocole n° 9.

[4].  Note du greffier : pour des raisons d'ordre pratique il n'y figurera que dans l'édition imprimée (Recueil des arrêts et décisions 1998), mais chacun peut se le procurer auprès du greffe.